Harmonie chaotique

Une mosaïque de Rho Ophiuchi

Prise de vue, calibration et empilement : Thibault Sergent

Assemblage de la mosaïque et traitement : Harry Collis

Vous pouvez zoomer et mettre l’image en plein écran. Bonne balade dans l’espace :)


Informations sur l’image

Les clichés qui ont servi à créer cette mosaïque ont été pris depuis la Palma sous un ciel sombre (Bortle 2) et il a fallu 14 nuits au total (du 11 au 25 juin 2023) pour prendre toutes les photos. En France métropolitaine, la région photographiée est visible en été à droite du bulb galactique. Le cadre chevauche trois constellations : Serpent, Scorpion et Balance. Cette mosaïque est le fruit de 25 tuiles photographiées avec une lunette doté d’une longueur focale de 274 mm. Chaque zone a été photographiée pendant une à deux heures avec une caméra astro refroidie plein format de 61.2 mégapixels (ZWO ASI 6200 MC Pro). Le temps de pose cumulé est de plus de 30 heures et les différents traitements, dont l’assemblage de la mosaïque, ont nécessité des dizaines d’heures de calcul également.


Thibault : l’histoire de cette photographie

La première fois que j’ai vu cette zone du ciel, j’étais stupéfait. Sur les forums astro j’ai lu quelqu’un qui avait publié son image. Toutes ces couleurs, ces formes. Je me suis même demandé si ça existait vraiment. J’ai alors demandé où il avait pris cette photo. Dans l’hémisphère sud il me répondit. J’ai ensuite demandé le nom des objets et la zone du ciel. Après sa réponse je suis allé me renseigner sur Stellarium. C’était aussi les premières fois que j’utilisais ce logiciel très pratique. J’ai vu que depuis chez moi en Bretagne, la cible était proche de l’horizon, mais possible à photographier. Malgré un site sans pollution lumineuse (la pointe du raz), le résultat n’était pas dingue. Mon manque d’expérience, dans l’acquisition des images, dans le traitement m’a montré que ce n’était pas aussi facile que je pensais de photographier le ciel.

Première version depuis la Bretagne.

Deuxième tentative depuis le Chili.

Ensuite j’ai compris en pratiquant qu’une cible proche de l’horizon en dessous des 35-40 degrés ne donne pas les meilleurs résultats. Si je voulais photographier cette cible, il fallait descendre vers le sud… voyager. Mais où aller ? Je me suis alors renseigné. Certains parlaient du Chili, d’autres de la Namibie. Je suis alors parti au Chili pour tenter cette expérience. Au désert d’Atacama avec une Star Adventurer, un Canon 6D modifié astro et un canon 135mm f2. J’ai photographié la zone pendant 5h de photo au total.

Content du résultat j’avais laissé cette zone du ciel de côté un petit moment. Jusqu’à ce que j’entende parler de mosaïque. J’étais intéressé par les résultats obtenus sur plusieurs tuiles, augmenter la définition d’une image que j’aurais fait avec une focale plus courte. Alors je suis parti à La Palma en mai 2022. La météo ne m’a pas permis d’obtenir ma mosaïque. J’avais quelques tuiles, mais rien à assembler. Un peu déçu, j’ai décidé d’y retourner cette année, en juin 2023, afin de la terminer une fois pour toutes. J’ai analysé les heures où ma cible était à hauteur parfaite chaque nuit pendant la période de nouvelle lune. J’ai fait plein d’hypothèses sur le nombre d’heures maximales que je pouvais obtenir en cas de météo idéale. J’ai ensuite réfléchi à la durée de chaque pose unitaire, au chevauchement des tuiles de la mosaïque. Une fois sur place j’ai évidemment dû composer avec l’imprévu. Premièrement l’application ASIAIR qui souhaite se mettre à jour et je n’avais pas de connexion pour l’exécuter correctement. Ensuite l’heure d’été à prendre en compte, la position GPS à mettre à jour. Mon système d’alimentation trop peu puissant et ça provoquait sans cesse des coupures de connexion. Impossible de faire la mise en station, aucune étoile n’apparaissait sur l’écran lors de la prise de vue. Puis je me suis rendu compte que j’avais oublié le cache sur la lunette. On a beau se préparer avec un niveau d’exigence élevé, on n’est jamais à l’abri d’erreurs bêtes. Chaque jour avait son lot de suspens et d’appréhension. Je m’étais peut-être mis la barre trop haute. Certaines nuits les nuages m’ont empêché de photographier mes tuiles, la météo est considérée comme imprévisible à La Palma. D’autres nuits où l’on annonçait de la pluie, le ciel était dégagé… Et je m’en rendais compte en cours de nuit lorsque je me réveillais pour vérifier. Alors je sortais le matériel au dernier moment, a toute heure, et voilà que je commençais à avoir un sommeil décalé et irrégulier, la fatigue me gagnait haha, mais c’est le quotidien des amateurs astrophotographes. On ne va pas se plaindre. Après plusieurs obstacles je pensais avoir obtenu toutes les tuiles nécessaires à l’assemblage de ma mosaïque. J’allais bientôt me rendre compte que l’acquisition des images n’était que la partie émergée de l’iceberg. Le traitement aller m’en faire baver. Certainement à cause des défauts optiques de ma lunette et de mon manque d’expérience, les tuiles ne s’assemblent pas comme je le souhaitais dans le logiciel Astro Pixel Processor. J’ai tenté d'assembler la mosaïque plusieurs fois, mais rien n’y faisait. Certaines zones du ciel montraient des étoiles déformées.

Et voilà que je contacte Harry ! Je lui ai donc expliqué mon problème et il a généreusement donné de son temps pour m’aider. Après plusieurs tentatives, il a réussi à assembler la mosaïque de manière homogène. Je lui ai donc demandé s’il pouvait m’aider au traitement en général jusqu’au résultat final et il a accepté. C’est donc l’image publiée qui est le résultat de notre collaboration. Moi-même à l’acquisition des images et Harry au traitement. Merci a lui pour sa disponibilité, sa générosité comme d’habitude ! Sans son aide je n’aurais peut-être jamais réussi à assembler correctement la mosaïque, je n’aurais sans doute pas eu une image aussi finement traitée non plus. Merci beaucoup Harry !

J’ai eu beaucoup de chance d’obtenir toutes les images nécessaires à cette mosaïque, ça s’est joué jusqu’à la dernière nuit sur place, beaucoup de suspens. Je suis heureux de vous partager cette image après son lot d’obstacles. C’est ce qui fait que je l’apprécie d’autant plus. Je pense que mon prochain projet ne sera pas aussi ambitieux. Pour que quoi qu’il arrive, je ne sois pas déçu et que tout ce qui arrive en plus soit du bonus !


Explications sur le traitement par Harry

1) Assemblage de la mosaïque

Pour assembler les tuiles, j’ai utilisé Astro Pixel Processor (APP) qui est généralement considéré comme le meilleur logiciel pour les mosaïques astro. Les images de Thibault souffraient de beaucoup d’aberrations optiques (principalement des problèmes d’astigmatisme) ce qui ne facilitait pas la tâche. Mais avec les bons réglages et en choisissant une image de référence proche du centre du cadre, je suis parvenu à obtenir un rendu propre. De plus, APP a corrigé presque intégralement les problèmes d’astigmatisme en combinant les clichés :) Avec les réglages que j’utilise, chaque tentative d’assemblage nécessitait environ 9h de calcul sur mon ordinateur qui a pourtant un processeur 12 cores Ryzen 3900X et 32 Go de RAM. Et comme j’avais besoin de mon PC en journée pour travailler, j’ai lancé chaque tentative d’assemblage le soir avant de dormir.

J’ai fait plusieurs tests afin d’obtenir le meilleur résultat possible. En astrophotographie, il est important de soigner chaque étape de la prise de vue et du traitement pour obtenir un résultat optimal :)

2) Recadrage et pollution lumineuse

J’ai également utilisé Astro Pixel Processor pour inverser, recadrer, changer l’orientation, réduire la définition et enlever la pollution lumineuse de l’image. Ce fut relativement facile à faire et j’ai passé environ 40 minutes sur cette partie du traitement.

3) La méthode multi stretch

En astrophotographie, la taille et l’intensité des étoiles posent problème en particulier lorsque l’on utilise des longueurs focales courtes comme ici. Les nébuleuses se noient dans une mer d’étoiles et on cherche donc à réduire leurs tailles afin de révéler les différents sujets présents dans le cadre.

Il existe plusieurs méthodes pour réduire la taille et la luminosité des étoiles. À mon sens, la meilleure technique est de créer une version du cliché sans étoiles que l’on appelle une image starless. On peut ensuite soustraire la photo sans étoiles à l’image normale afin de créer un calque qui ne contient que les étoiles. On peut ainsi traiter séparément les nébuleuses et les étoiles de la scène.

Pour traiter cette image, je me suis basé sur cette méthode, mais j’ai également eu comme idée de créer plusieurs versions de l’image avec des stretch différents :

  • Un stretch très faible pour avoir de très petites étoiles

  • Un stretch moyen qui fait ressortir les nébuleuses et les étoiles

  • Un stretch fort qui servira à faire ressortir davantage les nébuleuses

Note : un stretch est une étape du traitement où l’on accentue l’exposition et le contraste de l’image afin de révéler les étoiles et nébuleuses présentes dans le fichier.

J’ai ensuite séparé les étoiles des nébuleuses des trois versions de l’image en utilisant Starnet ++ V2. J’ai utilisé les images de la manière suivante :

  • Les étoiles sont celles du stretch faible

  • Les nébuleuses sont celles du stretch fort

  • Deux petites zones du calque starless du stretch moyen ont été fusionnées avec le calque starless du stretch fort afin d’éliminer un défaut de traitement qui peut apparaitre avec Starnet lorsque le stretch est trop fort

4) Traitements dans Photoshop

La méthode multi stretch m’a donné une excellente base de travail et je n’ai donc pas eu besoin de faire beaucoup de traitements complémentaires pour obtenir le résultat final. Dans Photoshop, j’ai fait les traitements suivants :

  • Soustraction d’un léger dégradé restant dans le coin supérieur gauche

  • Ajustements des couleurs (en utilisant le plugin Hasta La Vista Green, des courbes et calque de correction sélective)

  • Débruitage et accentuation de la netteté en utilisant Topaz DeNoise AI sur le calque starless

  • Légère réduction de l’exposition des étoiles

  • Quelques stretchs complémentaires de l’image starless


Informations complémentaires sur l’image

Sujets présents dans le cadre :

  • M4 amas globulaire de l’araignée

  • NGC 6235

  • NGC 6144

  • Antares et sa nébuleuse LDN 1712

  • LDN 1721

  • Nébuleuse de la tête du cheval bleu IC 4592

  • IC 4601

  • IC 4603

  • IC 4605

  • IC 4591

  • Nébuleuse de P Oph

  • Etc.

Conditions de prise de vue :

  • Lieu : En Espagne, aux Îles Canaries. La Palma. Près de Puntagorda

  • Niveau de pollution lumineuse : Bortle 2

  • Date de prise de vue : du 11 au 25 juin 2023 (14 nuits au total)

Matériel :

  • Caméra : ZWO ASI 6200 MC Pro (caméra couleur refroidie, capteur plein format, 61.2 mégapixels)

  • Instrument : Lunette TS Optics 61 EDPH II avec son correcteur réducteur

  • Guidage : Lunette de guidage ZWO 30 mm f/4 mini et ASI 224 MC

  • Mise au point : Moteur de mise au point EAF ZWO

  • Monture : ZWO AM5 (entraînement harmonique)

  • Trépied : ZWO TC40 avec allonge colonne

  • Ordinateur : ZWO ASIAIR Plus

  • Alimentation : prise secteur sur place

  • Accessoires : filtre UV-IR cut Astronomik L3, tiroir à filtre ZWO, résistance chauffante, range câbles

Réglages :

  1. Ouverture : f/4.5

  2. Longueur focale : 274 mm

  3. Gain : 50

  4. Temps d’intégration : entre 1h30 et 2h par tuile (3 min par cliché), la mosaïque est composée de 25 zones, soit plus de 30 heures d’intégration totale

  5. Images de calibration : 60 Darks, 60 Offsets, 60 Flats

Logiciels :

  • Organisation et cadrages : Stellarium et Telescopius

  • Tri et vérification des images : PixInsight

  • Empilement : Siril

  • Assemblage de la mosaïque : Astro Pixel Processor

  • Soustraction de pollution lumineuse : Astro Pixel Processor

  • Stretch : Astro Pixel Processor

  • Création du calque starless (sans étoiles) : Starnet ++ V2

  • Traitements : Photoshop + H.C. Actions - Pack Astro v1.4 + Plugin Hasta La Vista Green (HLVG)

  • Débruitage : Topaz AI Denoise