Pourquoi et comment faire un panorama de la Voie lactée
En astrophotographie, une fois les bases de la prise de vue assimilées, on cherche souvent à aller plus loin afin d’améliorer son rendu ; une approche classique est de se diriger vers un objectif plus performant ou un boitier doté d’un plus grand capteur, d’autres vont aller vers les empilements d’images afin de ne pas casser la tirelire. Que l’on soit bien d’accord, toutes ces approches sont bonnes et peuvent améliorer sensiblement la qualité de vos clichés de la Voie lactée, mais il existe une autre technique, un peu moins connu, mais tout aussi efficace : les panoramas. Dans la suite de ce billet, je vais vous expliquer comment améliorer drastiquement la qualité de vos clichés, et ce, sans investir dans du matériel couteux.
Pourquoi les panoramas ?
a) Le principe
En astrophotographie, on manque cruellement de lumière et on cherche donc par tous les moyens possibles à en récupérer plus (plus grand capteur, objectif avec une plus grande ouverture, etc.). La technique du panorama astro va se baser sur ce principe, pour comprendre, regardons un exemple :
Je prends une première photo avec un 24 mm et mes paramètres sont les suivants : f/1.4, 20s, ISO 1600. Je fais ensuite un panorama avec un 50 mm, ici je suis obligé de prendre au moins quatre photos pour avoir le même cadrage qu’avec le 24, je peux utiliser la même ouverture et la même sensibilité ISO, mais si je respecte la règle des 500, mon temps de pose est deux fois moins long et sera de seulement 10s ; je récupère donc deux fois moins de lumière par photo, mais vu que je fais quatre photos au lieu d’une seule, au final, je récupère deux fois plus de lumière au total (soit un gain d'1 stop). Ma photo panoramique sera donc bien plus propre que ma photo simple. Pour mieux comprendre, je vous invite à lire mon article sur le rapport signal/bruit et l'exposition à droite.
Note 1 : il est important de comprendre que c'est la quantité totale de lumière récupérée qui compte et non la quantité de lumière récupérée par cliché.
Note 2 : on peut aussi parler de mosaïques à la place de panorama
Regardons un autre exemple : Je prends une photo avec un 12 mm f/2.8 à ISO 1600 et 40 secondes de temps de pose ; je fais ensuite un panorama de quatre photos au 24 mm (ce qui me donnera grossièrement le même cadrage), toujours à f/2.8 et ISO 1600 mais avec un temps de pose de 20 secondes. Comme tout à l’heure je récupère donc deux fois moins de lumière par photo, mais deux fois plus de lumière au total puisque je prends quatre photos. Ma photo panoramique sera donc plus propre que ma photo prise à l’ultra grand angle 12 mm. Sauf que l’on trouve facilement des 24 mm qui ouvrent à f/1.4, ce qui n’est pas le cas des 12 mm, je peux donc encore multiplier par quatre la quantité de lumière récupérée en faisant mon panorama à f/1.4, ce qui me donne au total 8 fois plus de lumière (soit un gain de 3 stops). Maintenant, imaginons que j’utilise le 50 mm à f/1.4 au lieu du 24, je vais encore doubler la quantité de lumière et ainsi multiplier par 16 la la quantité totale de lumière récupérée par rapport au cliché simple pris à 12 mm et f/2.8 !
Comme vous pouvez le constater, on peut donc améliorer de manière impressionnante la qualité de ses clichés de la Voie lactée avec cette technique. On peut, évidemment, trouver des objectifs ultra grand-angles plus intéressants qu’un 12 mm f/2.8 pour l’astrophotographie, comme le Sigma ART 14 mm f/1.8 par exemple, mais même en achetant cet objectif très haut de gamme et onéreux, on ne pourra pas obtenir la même qualité d’image qu’en faisant un panorama avec un objectif bon marché.
Pour plus d’informations à ce sujet, je vous invite à consulter mes articles sur l’ouverture utile et la taille des capteurs.
Exemple en images :
Photo simple prise avec le Canon 50 mm f/1.4 USM (ISO 25600, 10s, f/2.8) :
Panorama prise avec le même objectif et les mêmes réglages, comme nous sommes plus éloignés, la photo semble moins bruitée. Notez également que les filés d'étoile sont moins visibles.
Il faut cependant prendre en compte le nombre de clichés nécessaires pour faire ce genre de panorama ; pour reprendre l’exemple précédent, si je veux obtenir le même cadrage avec un panorama fait au 50 mm qu’avec une seule photo d’un 12 mm, il me faudra prendre au moins 16 photos ; sauf qu’en réalité les photos doivent se chevaucher pour créer le panorama, on peut donc estimer qu’il faudrait prendre environ 25 photos au 50 mm pour avoir le même cadrage qu’au 12 mm. C’est loin d’être impossible, mais il faut comprendre qu’il s’agit de l’une des limites de cette technique, si par exemple, je décide de faire mon panorama au 100 mm, il me faudra faire plus de 100 photos pour avoir le même cadrage, etc.
b) Tous au même niveau
On entend souvent dire que la taille des photosites (pixels) du capteur influe fortement sur la gestion du bruit numérique, mais son influence est en réalité très faible, voir négligeable. En effet, c’est la taille de la surface sensible dans sa totalité qui est importante et non la taille des photosites qui la compose. En sachant ceci, on comprend mieux pourquoi un capteur Full Frame (24 x 36 mm) monte mieux en ISO qu’un capteur APS-C (16,7 x 25,1 mm). Mais quel rapport avec les panoramas ? Eh bien, en faisant un panorama et en utilisant un objectif de la même longueur focale, il faudra faire plus de photos avec un capteur APS-C qu’avec un capteur Full Frame pour avoir le même cadrage final. Mais on aura la même qualité d’image avec un capteur plus petit, à condition d’utiliser le même temps de pose et la même ouverture.
c) Briser la règle des 500
La règle des 500 est très pratique et nous donne un temps de pose maximum approximatif à ne pas dépasser en astrophotographie. Ceci étant dit, il s’agit d’une règle approximative qui ne prend pas en compte certaines choses, notamment la définition du capteur et la distance de visionnage ; elle est basé sur la perception que nous aurons de la photo, ce n'est pas une science exacte. Faire un panorama revient à cloner son capteur et on obtient une photo équivalente à celle qui serait prise avec un appareil doté d’un très grand capteur, vous pouvez donc briser la règle des 500 et dépasser le temps de pose que vous utiliseriez normalement (puisque avec un capteur plus grand et la même longueur focale, la règle change). En effet, à une distance de visionnage normale de la photo panoramique, vous ne verrez pas de filés à la place des étoiles. Un reflex APS-C peut donc produire des images aussi propres qu’un Full Frame à condition d’utiliser le même temps de pose qu’avec ce dernier. Vous pouvez donc jouer avec ce principe et tester différents temps de pose que vous ne pourriez pas utiliser normalement, mais attention cependant à ne pas abuser de cette astuce car plus le temps de pose sera long et moins la photo sera nette. C’est donc à vous de trouver un équilibre entre le niveau de bruit (le RSB) et la netteté de votre cliché ; si vous voulez faire simple, vous pouvez continuer à vous baser sur la règle des 500 quelque soit la taille de votre capteur et ignorer le coefficient multiplicateur de votre appareil. En faisant des panorama avec des 35, 50, 85 et 100 mm, cela donne généralement de bons résultats).
d) Des étoiles plus petites et plus de détails
Les mosaïques sont également plus nettes et les étoiles sont plus petites. D’ailleurs, même si vous disposez d’une monture équatoriale, il est toujours préférable de faire des mosaïques car les images sont plus précises et agréables à regarder.
e) Les défauts optiques
Les aberrations comatiques et l'astigmatisme ne sont pas gênants dans la plupart des disciplines photographiques, mais ils peuvent poser des problèmes en astrophotographie ; les sources de lumière qui ne sont pas dans le centre du cadre sont déformées et ressemblent à des pointes de flèches ou à des oiseaux, voici un exemple :
La distorsion peut également nuire au rendu de vos clichés de la Voie lactée puisqu’elle a tendance à accentuer les filés d’étoiles dans les coins du cadre.
Enfin, le vignetage nuit parfois aux rendus des photos des étoiles. Puisque l’on manque cruellement de lumière, relever l’exposition des coins de l’image risque de révéler beaucoup de bruit.
Ces trois problèmes sont partiellement (voir totalement) rectifiés lorsque l’on fait des panoramas. En effet, les photos se chevauchent et lors de l’assemblage on peut utiliser les meilleures parties des clichés et ainsi éliminer les problèmes d’aberrations comatiques, de distorsion et de vignetage. Cependant, si votre objectif souffre de défauts optiques importants, il est préférable de quand même refermer un peu son diaphragme afin de limiter leurs effets (n'oubliez pas qu'en faisant un panorama, votre photo aura moins de bruit apparent, on peut donc se permettre de refermer un peu si besoin).
Astuce : si vous utilisez un appareil Full Frame, vous pouvez recadrer légèrement vos clichés avant de les assembler, de cette manière vous êtes sûr d'éliminer les pires parties de vos photos et d'avoir un panorama propre.
Comment faire un panorama ?
a) Prise de vue
Maintenant que vous savez pourquoi faire un panorama est intéressant, je vais brièvement vous expliquer comment faire ça sur le terrain :
Pour les bases de la prise de vue astro, je vous renvoie vers mon article sur le sujet
Si vous comptez faire un panorama composé de beaucoup de photos (disons plus de 15), il peut être astucieux d’utiliser le niveau à bulle de votre trépied
Prenez un ou plusieurs clichés de test avant d’entamer la création de votre panorama, vérifiez que votre exposition est bonne et que votre mise au point est réussie
Bloquez la balance des blancs afin qu’elle soit identique sur tous les clichés du panorama (si vous souhaitez avoir les couleurs naturelles du ciel nocturne, il faut régler la balance des blancs sur Lumière du jour)
Essayer d’avoir un chevauchement d’au moins 30% entre chaque image
Personnellement, je procède par niveau ; pour réaliser la photo en début d’article, j’ai pris quatre photos par niveau en commençant par le bas
Comme toujours, n’hésitez pas à prendre beaucoup de clichés différents et à essayer divers cadrages, il est parfois difficile de savoir quelles photos vont vous plaire sur le terrain, surtout lorsque l’on ne voit rien et que l’on fait des panoramas
b) Une profondeur de champ Brenizer
Un petit mot sur la profondeur de champ, pour rappel, il y a principalement trois éléments qui influent sur elle :
L’ouverture
La longueur focale
La distance du sujet
En utilisant une longueur focale plus grande, on réduit donc la profondeur de champ de son cliché, il faudra donc faire attention au premier plan et éventuellement refaire quelques photos de celui-ci en modifiant la mise au point afin d’être sûr qu’il soit bien nette.
c) Assemblage du panorama
Avant de commencer à créer vos panoramas, il est préférable de trier rapidement vos photos. Si vous avez Lightroom, vous pouvez utiliser les libellés de couleur (6, 7, 8, 9 sur le pavé numérique) et créer des groupes (CTRL + G).
Ensuite, je vous conseille de prétraiter vos fichiers dans Lightroom (ou un autre logiciel de post-traitement) avant de les assembler. Il faut appliquer le profil de correction pour enlever le vignetage et la distorsion et vérifier que toutes les images ont la même balance des blancs (Lumière du jour si vous voulez avoir les couleurs naturelles du ciel nocturne). Vous pouvez également faire d’autres réglages, comme baisser les hautes lumières pour réduire l’intensité lumineuse des étoiles ou baisser les noirs pour enlever en partie la pollution lumineuse.
Exportez ensuite vos photos en tiff 16 bits, en utilisant de préférence un grand espace colorimétrique comme l’Adobe RVB ou le ProPhoto RVB.
Pour assembler votre panorama, je vous conseille d’utiliser Microsoft ICE ou Hugin si vous êtes sur Mac OS. Ces deux logiciels sont gratuits et performant. J’apprécie particulièrement ICE qui est un des logiciels de panorama les plus ergonomiques, rapides et précis que j’ai pu tester.
Il existe plusieurs modes de projection, n'hésitez pas à les tester et choisissez le rendu qui vous plait le plus. Vous pouvez également modifier le rendu en utilisant votre souris et en maintenant le clic gauche enfoncé. C’est simple et très ergonomique :)
Astuce 1 : si dans ICE, vous ne pouvez pas choisir votre mode de projection, retournez à l’étape 1 (Import) et dans Camera Motion, choisissez Rotating Motion. Retournez ensuite à l’étape 2 (Stitch) et vous aurez accès à tous les modes de projection.
Astuce 2 : au moment d’exporter votre fichier dans ICE, vérifiez que vous êtes bien en tiff.
d) Réduction de la taille de l’image dans Photoshop
Si vous souhaitez continuer votre traitement dans Photoshop, vous pouvez éventuellement réduire la taille de votre panorama. En effet, traiter une image avec autant de pixels peut être la source de certains problèmes (dépassement de la taille limite du type de fichier, lenteurs importantes, etc.).
Pour ce faire, il suffit d'aller dans Image/Taille de l'image (ou ALT + CTRL + I).
Vous aurez ensuite un certain nombre de paramètres, choisissez la taille que vous souhaitez en pixels et choisissez votre mode de rééchantillonnage. Je préconise l’utilisation du mode Bicubique (dégradés lisses) qui génère les fichiers les moins bruités.
Astuce : lors du traitement, vous pouvez activer la compression sans perte ZIP dans Photoshop en sauvegardant un projet en tiff, cela réduit grandement la taille du fichier, mais ralenti légèrement la sauvegarde et l'ouverture du projet.
Pour résumer
Doublier la longueur focale permet de doubler la quantité de lumière récupérée lorsque l'on fait un panorama sans monture équatoriale (à condition d’avoir des objectifs disposant de la même ouverture)
En faisant des panoramas, les appareils dotés de petits capteurs peuvent faire aussi bien que les grands capteurs Full Frame
On peut briser la règle des 500 en faisant un panorama
Les panoramas sont beaucoup plus nettes et détaillés
On peut éliminer en partie ou totalement les problèmes liés aux défauts optiques avec cette méthode
La prise de vue n’est pas spécialement complexe, mais peut devenir difficile si l'on fait un très grand panorama avec beaucoup de clichés
La profondeur de champ sera plus faible qu’avec un grand-angle, attention aux premiers plans
L’assemblage est simple et rapide dans Microsoft ICE (ou Hugin)
Conclusion
Les panoramas en astrophotographie permettent d’obtenir des clichés étonnants de manière relativement simple et rapide, et ce, sans avoir besoin d’équipement très onéreux ; un reflex doté d’un simple capteur APS-C et équipé d’un objectif 35 ou 50 mm f/1.8 peut produire des images stupéfiantes. Il faut cependant noter que même si cette technique est d’un grand intérêt, elle ne remplace pas les autres approches et méthodes. Je vous invite d’ailleurs et combiner et tester différentes techniques, on peut par exemple, faire un empilement de photos que l’on combine ensuite pour faire un panorama. J’espère que cet article vous aura plu malgré sa technicité. Comme toujours, je vous invite à partager l’article et n’hésitez pas à me poser des questions si vous en avez ! Bonne journée et bonne photo ! :)